Le 3ème mandat est un débat politique, selon Macky Sall

Macky Sall

 

"Je ne me dédis pas

Dans un entretien accordé à l'épreuve est s'est prononcé sur le 3ème mandat, les manifestants et l’affaire Ousmane Sonko, et les questions de l'ancien premier ministre Cheikh Hadjibou SOUMARÉ. 

Le Sénégal est-il menacé par la progression du djihadisme ?

Absolument. Non seulement, notre voisinage immédiat est dangereux, mais nous savons qu’il existe des cellules dormantes sur notre propre territoire. N’oubliez pas que nous sommes membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui prévoit la libre circulation des personnes et des biens. Un individu peut donc se déplacer sans passeport dans 15 pays de la région. C’est un facteur de vulnérabilité. Mais nous ne restons pas les bras croisés. Nous musclons notre réponse militaire à la frontière du Mali et participons au désenclavement de cette zone frontalière qui manque de tout. Et cela, au moyen de programmes de développement communautaires qui apportent des services sociaux, de l’eau, de l’électricité, améliorent la voirie et renforcent l’employabilité des jeunes.

Au Sénégal, l’opposition est fortement mobilisée en soutien de son leader Ousmane Sonko, poursuivi dans une affaire de viols présumés et une autre de diffamation. Son camp accuse le pouvoir de vouloir l’écarter de la course à la présidentielle de février 2024. Votre commentaire ?

Dans un État de droit, un leader politique ne peut chercher à se soustraire à la loi en instrumentalisant la rue. Ce qui se passe n’est acceptable dans aucune démocratie. Un individu ne peut pas bloquer la capitale, Dakar, au seul prétexte qu’il est convoqué au tribunal. Si le Sénégal n’était pas une authentique démocratie, croyez- moi, son sort aurait été réglé depuis longtemps...

Craignez-vous des émeutes comme celles de mars 2021, qui avaient fait 14 morts ?

J’ignore ce qui peut se passer. Je ne suis pas devin. Mais une chose est sûre : ceux qui s’imaginent pouvoir intimider le pouvoir et bloquer la justice se bercent d’illusions. Chacun devra assumer ses responsabilités.

Serez-vous candidat à votre succession en février 2024 ?

Cette question m’a été posée des dizaines de fois. Dans mon camp, les gens se sont déjà positionnés pour m’investir comme candidat. Je n‘ai pas encore apporté ma réponse. J’ai un agenda, un travail à faire. Le moment venu, je ferai savoir ma position, d’abord à mes partisans, ensuite à la population sénégalaise. La perspective d’un troisième mandat inquiète une partie de la société civile et certains de vos partenaires occidentaux...

Sur le plan juridique, le débat est tranché depuis longtemps. J’ai été élu en 2012 pour un mandat de sept ans. En 2016, j’ai proposé le passage au quinquennat et suggéré d’appliquer cette réduction à mon mandat en cours. Avant de soumettre ce choix au référendum, nous avons consulté le Conseil constitutionnel. Ce dernier a estimé que mon premier mandat était intangible et donc qu’il était hors de portée de la réforme. La question juridique est donc réglée. Maintenant, dois-je me porter candidat pour un troisième mandat ou non ? C’est un débat politique, je l’admets.

Dans votre autobiographie publiée avant la présidentielle de 2019, Le Sénégal au cœur, vous affirmiez briguer votre "deuxième et dernier mandat". Direz-vous comme votre prédécesseur Abdoulaye Wade, en 2012 : "Ma waxoon waxeet" (Je l’ai dit, je me dédis) ?

Je ne me dédis pas. J’ai donné une opinion qui correspondait à ma conviction du moment. Celle-ci peut évoluer et les circonstances peuvent m’amener à changer de position. Nous sommes en politique. Mais pour l’instant, je n’ai pas déclaré ma candidature. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit.

Il se murmure qu’Emmanuel Macron a tenté de vous en dissuader...

Je ne vais pas faire état de mes conversations avec le président français devant la presse. Nous avons des discussions sur différents sujets, y compris celui-là. Il est libre d’avoir son opinion, d’exprimer des désirs, de faire part de sa volonté et, même, de prodiguer des conseils. Moi aussi, j’ai un point de vue personnel sur la politique qu’il mène.

Au classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, établi en 2022, le Sénégal perd 24 places. Quelle est votre explication ?

Ceux qui parlent d’un recul de la liberté de la presse au Sénégal ne font qu’écouter notre opposition, pour laquelle nous sommes la pire démocratie qui soit. Mais regardez le paysage médiatique du Sénégal : nous avons au moins une trentaine de quotidiens, aussi libres les uns que les autres. Il n’y a absolument aucune limitation sur la liberté de la presse. Cependant, il ne faut pas tout confondre : le journaliste arrêté récemment [Pape Ndiaye, chroniqueur à la télévision Wal Fadjri, NDLR] ne l’a pas été pour délit de presse, mais pour "diffusion de fausses nouvelles" [il avait mis en cause l’indépendance de la justice dans l’affaire Sonko, NDLR]. La justice sénégalaise est reconnue pour son impartialité.

L’ancien Premier ministre Cheikh Hadjibou Soumaré a également été inculpé en janvier pour "diffusion de fausses nouvelles", pour avoir demandé, dans une lettre ouverte, si vous aviez versé un don à Marine le Pen ?

Là, il s’agit d’un cas de diffamation. Comment un individu peut-il insinuer gratuitement que le président de la République a versé 12 millions d’euros à Marine le Pen ? Dans ce courrier, il me demande si j’ai donné cet argent ; demain, certains diront que je l’ai fait. S’il possède la preuve d’un tel financement, qu’il la fournisse ! L’on ne peut pas lancer ainsi des accusations sans preuves, puis, lorsque la justice est saisie et effectue son travail, crier à la chasse aux opposants. C’est trop facile.

La relation France-Afrique semble dans l’impasse. En plaidant pour un nouveau partenariat lors de son récent voyage sur le continent, Emmanuel Macron a-t-il trouvé le ton juste ?

Emmanuel Macron, qui constate le recul des intérêts français, cherche une voie pour bâtir une nouvelle relation de confiance avec l’Afrique. C’est légitime. Une chose me semble importante : il a insisté sur la nécessité de dépasser certains préjugés hérités du passé et de construire une relation d’égal à égal, en partenariat, car c’est aussi cela la nouvelle donne en Afrique. Par ailleurs, il dit qu’il souhaite s’adresser directement aux citoyens et au secteur privé. C’est bien... mais il ne faut pas oublier que les États demeurent incontournables.

Vous faites-vous ici référence au sommet de Montpellier, en octobre dernier, qui s’est tenu avec les sociétés civiles africaines, mais sans les chefs d’Etat ?

Soyons clairs : les présidents africains n’ont pas apprécié ce format. Le chef de l’État français peut rencontrer la jeunesse africaine, cela ne pose aucun problème. Mais ce forum ne peut pas remplacer un sommet de chefs d’États élus qui représentent leurs pays. J’ai eu une discussion intéressante à ce sujet avec le président Macron. Tout cela est maintenant derrière nous et nous entretenons d’excellentes relations. Nous devons aller de l’avant avec la France et, plus largement, l’Europe. Nos deux continents sont voisins et ils ont beaucoup en partage. Ensemble, ils représentent près de 2 milliards d’habitants. Nous devons bâtir des synergies, mais sans considérer que l’Afrique est une quelconque "chasse gardée". Ça, c’est terminé !

L’hostilité à l’égard de la politique française en Afrique est à son apogée. Comment l’expliquez-vous ?

Plusieurs facteurs expliquent ce "France bashing". Les réseaux sociaux ont facilité la diffusion de messages négatifs, sur fond, parfois, de manipulations. La France doit donc mener un vrai travail d’information – et même de propagande – afin de contrecarrer ces clichés. Cela permettrait de faire connaître le vrai visage de sa coopération avec l’Afrique. Par ailleurs, certains griefs des militants hostiles à la politique française sont justifiés. Par exemple, il perdure une tendance naturelle, au Nord, à considérer que les Africains doivent faire ceci et pas cela. Ces derniers ne supportent plus ce paternalisme d’un autre temps. Nos citoyens considèrent à juste titre que soixante-dix ans après les Indépendances, l’on ne peut plus se comporter et agir comme si la décolonisation venait de prendre fin. Notre population est très jeune. Elle n’a pas connu cette époque. Elle aspire à être traitée en partenaire, sur un pied d’égalité.