COMMENT L'ÉMIGRATION APPAUVRIT LE SÉNÉGAL ?

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Notre pays qui n'a aucune politique migratoire digne de ce nom, ne cherche ni à mobiliser l'épargne des migrants, ni leurs savoir-faire dans des projets structurants.
 

Le Chef de l'Etat a demandé dans la semaine précédente à son ministre de l'Intérieur d'accentuer la lutte contre l'émigration clandestine en contrôlant davantage les points de départ.
Hélas ! C'est là une manière de rendre service aux Européens et non à notre jeunesse.

Certes, aucun gouvernement ne peut rester passif devant la tragédie quotidienne qui met en scène la mort de nos jeunes dans des conditions inhumaines, mais la réponse ne doit pas être répressive ni ici, ni dans les pays de transit, ni dans les pays d'accueil.
En outre, il est désolant de criminaliser un droit, celui de la liberté de sortir du territoire national.
J'aurais voulu, en revanche, que le Chef de l'Etat crée un groupe de réflexions sur l'émigration.
Car, contrairement à ce que l'on croit, le Sénégal ne s'enrichit pas grâce à ses migrants, bien au contraire.

Le recensement général des entreprises ou RGE de 2016 effectué par l'Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) a montré qu'environ 400 000 acteurs de l'informel apportent plus de 3 000 milliards de francs CFA au produit intérieur brut et, si on prend le tiers comme revenus salariaux, il y a plus de 1000 milliards de francs CFA qui reviennent à leur famille.
En comparant aux envois des 2,5 millions de Sénégalais de l'étranger, on voit bien qu'un Sénégalais qui ne migre pas apporte plus à sa famille que celui qui migre.

La réussite relative et spectaculaire d'une minorité de migrants donne, pourtant, envie à 75% des jeunes sénégalais d'émigrer (chiffre de l'institut fondamental africain cheikh Anta Diop ou IFAN). Ce constat explique pourquoi il est difficile de fixer les jeunes dans une activité ou dans un emploi quelconque, puisqu'ils considèrent toute occupation comme transitoire. C'est, ainsi, qu'une bonne partie de financements publics de projets jeunes servent à financer des projets hasardeux d'émigration.

Ainsi, le mirage existant dans les pays de destination hypothèque tous nos projets d'entreprises ou de développement : les richesses créées ne sont pas réinvesties dans les activités générées par les lourds investissements publics, mais encore à financer le départ des bras valides.

Dans les pays d'accueil, les migrants sénégalais se perdent, souvent, dans des activités de services où ils n'arrivent pas, toujours, à accumuler assez de compétences pour leur éventuel retour au Sénégal.
Notre pays qui n'a aucune politique migratoire digne de ce nom, ne cherche ni à mobiliser l'épargne des migrants, ni leurs savoir-faire dans des projets structurants.
Pire, les migrants qui tentent d'investir eux-mêmes ou qui reviennent au pays travailler finissent par le regretter tant tout est fait pour favoriser leur échec ou rien n'est fait pour leur faciliter les choses.

Puisque nous n'arriverons pas à arrêter l'émigration, mais à la rendre plus meurtrière par le tout répressif, il me semble urgent que l'Etat se donne les moyens de transformer une calamité en opportunités pour tous.